samedi 25 juillet 2009

le grain de la voix Barthes


Roland Barthes est un musicien du toucher, un pianiste amateur qui recherche une certaine qualité de jeu sans pour autant chercher à le dresser car le "dressage empêche la jouissance". Pour lui, il y a deux musiques : celle que l'on écoute et celle que l'on joue. Composer, selon Barthes, c'est avant tout "donner à faire" et l'interprétation, aussi neutre qu'elle puisse être, est une forme d'écriture dans l'instant, sans esprit de maîtrise ni de compétition ; elle procède d'un art du déchiffrage, lié au plaisir du "texte musical", dont la lecture doit être à chaque fois renouvelée.
Barthes s'était d'autant plus consacré au piano que sa vocation de chanteur avait été très tôt interrompue par la maladie ; Charles Panzera, un des plus célèbres chanteurs de mélodies de l'entre-deux-guerres lui avait donné des cours et Barthes lui rendra hommage à de nombreuses occasions, notamment dans un de ses essais les plus remarquables : Le Grain de la voix. "Le "grain", écrit Barthes, c'est le corps dans la voix qui chante, dans la main qui écrit, dans le membre qui exécute". Paradoxalement, ce texte qui a été publié en 1972 dans une revue musicale d'avant-garde propose une remise en question de l'importance de la "rupture tonale accomplie par la modernité".
Barthes musicien écrivant sur la musique se révèle singulier et anticonformiste (amateur anti-héros et artiste contre-bourgeois, selon ses propres termes). Loin d'être conservateur, malgré son goût revendiqué pour la musique romantique et les mélodies "fin de siècle", il ouvre des pistes et remet en question bien des certitudes apprises. Les musiciens de "l'œuvre ouverte" comme André Boucourechliev seront finalement ses meilleurs interlocuteurs possédant comme lui un sens du jeu et une approche sensuelle de la pratique musicale.

par Christian Rosset
franceculture.com

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