mercredi 22 juillet 2009
joan la barbara / cathy berberian
Joan La Barbara est un personnage à part dans le monde de la musique classique. Que ce soit à travers son association avec des compositeurs comme John Cage, Steve Reich ou Morton Feldman, ou sa propre carrière de compositrice, elle s’est construit une place unique de chercheuse et d’expérimentatrice. Depuis les années soixante, elle a consacré sa vie à explorer la voix humaine, à commencer par la sienne, afin d’en élargir les possibilités et d’en repousser les limites. Elle a ainsi développé un vocabulaire étendu de techniques vocales expérimentales, ajoutant le chant circulaire (chant ininterrompu par la respiration), le hululement, les claquements de glotte, le chant multiphonique (chanter sur plusieurs tonalités à la fois) aux techniques traditionnelles du chant classique. À l’inverse du chant lyrique, elle considère la voix, non comme un véhicule du texte, mais comme un instrument en soi. Ce qui l’a amenée à composer et interpréter des œuvres étonnantes, associant une forme de chant « pur », quasiment angélique, à des grognements, des évocations d’animaux, de machines, des imitations de sons électroniques. Ses propres compositions sont, non seulement des démonstrations virtuoses de ses capacités vocales et de son talent, mais aussi des pièces excessivement sensibles, explorant la texture sonore de la voix de manière envoûtante.
Voice Is The Original Instrument est une compilation de ses premières oeuvres, enregistrées dans les années 70 et 80, et présente l’artiste expérimentant diverses techniques de production sonore, vocale et technologique, mais aussi diverses sources d’inspiration inhabituelles, improvisant après des périodes de privation sensorielle, traduisant en son des analyses du spectre lumineux. L’album est aussi une introduction en forme de manifeste à ce qui sera la voie de Joan La Barbara tout au long de sa carrière. Elle y envisage le son comme une présence physique, un matériau à sculpter. Elle dit vouloir « retrouver la fonction de base de la voix en tant que premier instrument d’expression » et comme ressource sonore encore trop peu explorée. En plus de ses techniques vocales, elle explorera le re-recording, additionnant jusqu’à seize couches de sa propre voix pour parvenir à une composition orchestrale complexe, une réelle « peinture sonore ». C’est le titre qu’elle donnera d’ailleurs à un de ses albums : Sound Paintings, un disque s’ouvrant sur un cri perçant, pour s’engouffrer ensuite dans une série de pièces tantôt méditatives, tantôt emportées à toute vitesse dans une fougue rappelant diverses traditions populaires, comme Erin, évoquant l’Irlande, ou Urban Tropics, où elle utilise sa voix comme un instrument de percussion afro-cubain.
Malgré la réticence de beaucoup de compositeurs à écrire pour une interprète aussi unique que La Barbara, quelques-uns se sont risqués au défi. Une de ces plus belles collaborations est une œuvre de Morton Feldman intitulée Three Voices. Les paroles sont extraites des deux premiers vers de Wind, un poème que l’écrivain Frank O'Hara avait dédié à Feldman. Le texte est adapté pour trois voix, l’une chantée live, les deux autres enregistrées. Elle fut interprétée par La Barbara, chantant entourée de deux haut-parleurs. Feldman expliquera plus tard avoir eu la vision des haut-parleurs comme autant de pierres tombales, et qu'il avait conçu la voix live comme conversant avec des esprits. Pour lui, c'était les voix de ses amis Philip Guston et Frank O'Hara qui y étaient enterrées; la voix live était la sienne. Il y a toujours eu beaucoup de similitudes dans les approches musicales de Feldman et de La Barbara. Elle a créé au fil du temps un style vocal minimaliste, tout en retenue, qui rappelle la subtilité et l’économie caractéristique de Feldman.
Une autre de ses oeuvres majeures est une collaboration également. 73 Poems est basé sur un texte du poète américain Kenneth Goldsmith, par ailleurs fondateur d’UbuWeb (http://www.ubu.com). Il s’agit d’une œuvre pour voix, électronique et bande, composées de 79 pièces courtes, entre le haïku et la miniature, durant chacune une minute à peine. Il s’agit également d’une exception au travail habituel de La Barbara puisqu’elle avait jusque-là évité l’usage du texte. Alors qu’elle favorisait auparavant les séquences vocales dénuées de signification, et en ce sens similaires à une musique instrumentale, elle utilise ici l’humour ou le pathos des textes pour se livrer à des variations sur les différentes rimes et allitérations des poèmes ou pour se concentrer sur une forme de récitation uniquement accompagnée de manipulationsd’harmoniques. Les poèmes originaux de Goldsmith, conçus comme des intermédiaires entre la poésie et la peinture, sont disposés sur le papier comme une composition abstraite, les mots se superposant, dessinant des formes géométriques. Chacun possède, en dehors de son texte, un agencement visuel, une esthétique propre. C’est de cet agencement que partira La Barbara pour son adaptation, cherchant à sculpter le son en accord avec la composition graphique du poème.
La musique de Joan La Barbara, bien qu’elle soit le résultat d’années d’expérimentation, conserve une fraîcheur, une beauté inhabituelle, qui parlent à l’imagination. Décrite par certains critiques comme "l’équivalent sonore de la science-fiction", elle est une exploration des territoires inconnus de la voix. Qu’elle se base sur des techniques traditionnelles comme le iodle, le jeu de gorge des Inuits ou le chant diphonique de Mongolie, ou qu’elle invente ses propres techniques, l’agilité et l’aisance de La Barbara sont toujours impressionnantes. À la fois compositrice et interprète, et ne craignant pas de mêler à son approche classique improvisation et technologie, Joan La Barbara est un exemple rare, marginal, dans le monde de la musique classique. Au moyen de sa seule voix, elle s’est créé un univers déconcertant, fascinant et « rafraîchissant », où l’on ressent la joie de chanter, de s’immerger dans le son et de découvrir des sons que l’on croyait jusque-là impossibles. [retour]
Joan La Barbara possède un site internet : http://www.joanlabarbara.com/. Elle travaille actuellement sur un nouvel opéra, intitulé WoolfSong, inspiré par la vie et l’œuvre de Virginia Woolf.
Discographie sélective
- Joan La Barbara : « Voice Is The Original Instrument » - XL010A
- Joan La Barbara : « Sound Paintings » - XL010C
- Joan La Barbara : « Shamansong » - XL010E
- Joan La Barbara & Kenneth Goldsmith : « 73 Poems » - XL010D
- Steve Reich : « Drumming / Six Pianos / Music For Mallet Instruments, Voices and Organ » (1974) - FR3396
- Philip Glass : « North Star » (1977) for multiple voices - XG366D
- Morton Feldman : « Three Voices for Joan La Barbara » (1982) - FF3425
- Morton Subotnik : « Touch 1969 / Jacob's Room 1986 » - FS9132
- John Cage : « Singing Through » (1990) - FC0626
Benoît Deuxant
de http://www.lamediatheque.be/dec/portraits/joan_la_barbara.php?reset=1&secured=
Mezzo-soprano américaine - Attleboro, Massachusets, 4 juillet 1925
" Je suis anti-conformiste, je suis rebelle et je refuse d'accepter ce que je ne crois pas vrai. Je ne veux pas être prisonnière d'un seul répertoire." C. BERBERIAN
Cathy BERBERIAN est une diva pas comme les autres, se produisant parfois avec des cheveux roses et de gigantesques faux cils, poussant des cris d'animaux et des grognements, ou encore confrontant Monteverdi avec les Beatles. Mais ne nous y trompons pas ! Elle est avant tout une géniale professionnelle de la musique de son temps.
Tout commence à l'âge de deux ans, dans une famille d'origine arménienne, avec la petite Cathy qui passe son temps à grimper sur la table familiale pour y interpréter avec succès la célèbre chanson " Ramona ". Plus tard, nous la retrouvons aux Universités de Columbia et de New York où elle étudie le chant, la pantomime, le théâtre, la littérature ainsi que la danse espagnole et indienne. En 1950, elle obtient une bourse Fulbright et décide de se fixer à Milan où elle effectue de très sérieuses études de chant avec Giorgina del Vigo.
Cathy devient l'épouse de Luciano Berio en 1950. Le célèbre compositeur est le premier à découvrir les surprenantes ressources de sa voix. Il lui ouvrira les portes de la musique contemporaine et lui dédiera bon nombre de ses œuvres particulièrement " Chamber Music ", " Circles ", " Epifanie ", " Visage ", " Sequenza III " et " Folk songs ".
La carrière de Cathy débute en 1957 à Naples où elle obtient ses premiers engagements. Mais c'est en 1958 à Rome que le monde musical découvre avec stupeur le " phénomène " BERBERIAN dans l'interprétation de l'œuvre surréaliste de John Cage, " Fontana Mix ", comportant une singulière diversité d'effets sonores. La voix de Cathy couvre alors trois octaves, ce qui fait dire à un critique qu'elle peut interpréter aussi bien Tristan qu'Isolde. A propos de cette étonnante tessiture, Cathy explique qu'à sept ans, elle passait son temps à écouter les disques d'opéras de sa mère : " Je chantais avec les disques. Je chantais avec Galli-Curci, Lily Pons, Chaliapine, je chantais même avec Caruso, Giuseppe de Luca. J'étais entourée des meilleurs chanteurs. Et personne ne me disait : on ne peut à la fois être soprano colorature et basse. Et c'est comme cela que j'ai préparé ma tessiture, trois octaves ! ".
Ses débuts aux Etats-Unis ont lieu à Tanglewood en 1960 avec " Circles " de Berio.
En 1966, Cathy et Luciano Berio se séparent mais toute leur vie, ils resteront unis musicalement. La même année, l'étonnante Cathy s'improvise compositrice d'avant-garde avec " Strispody ", collage d'onomatopées assez cocasse inspirées de la bande dessinée. Elle est aussi l'auteur de " Morsicat(h)y " (1971) et " Awake and Read Joyce " (1972).
Cathy BERBERIAN devient la vedette des plus importants festivals mondiaux de musique contemporaine tels Venise, Tanglewood, Donaueschingen, Varsovie, Spolète et Ravinia. Elle est également la star des Journées de Musique Contemporaine en 1968 où elle interprète les œuvres de Berio et en 1970 où elle crée les dernières œuvres de Busotti et Cage. Elle fréquente les plus grandes scènes internationales avec la Scala de Milan, Carnegie Hall et le Concertgebouw d'Amsterdam. Pédagogue, elle donne des cours d'interprétation à l'université de Vancouver et à la Reinische Musikschule de Cologne.
Théâtrale et explosive, elle est la coqueluche des compositeurs les plus inventifs et burlesques de son temps. Mais elle aborde aussi le répertoire classique en interprétant avec talent Purcell et Monteverdi : " Je suis critiquée, je sais. On dit : " Oh, elle est bouffonne ! ". Mais je n'ai pas peur, parce que j'ai fait assez pour qu'on sache que je suis aussi sérieuse ".
A lire, de Marie-Christine Vila : Cathy Berberian, cant'actrice (Fayard, 2004, 424 p.).
Biographie réalisée par les services de documentation interne de Radio-France
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impressionnant...
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